L’Europe face à la menace : l’urgence d’un réarmement stratégique

La nécessité pour l’Europe de renforcer sa défense face à l’immobilisme de ses dirigeants et au désengagement américain a été accentué par la réélection de Donald Trump. La guerre en Ukraine et les ambitions expansionnistes de la Russie justifient un réarmement européen pour assurer une dissuasion crédible et éviter d’avoir à combattre. Matthieu Boisdron rejette l’idée d’une posture va-t-en-guerre, soulignant que cet effort vise avant tout à prévenir les conflits. Enfin, il met en garde contre les erreurs du passé, rappelant que l’inaction face aux violations du droit international, comme dans les années 1930, peut avoir des conséquences désastreuses.

Cercle Raymond Badiou – Pourquoi cette tribune ?

Matthieu Boisdron – Cette tribune collective est le fruit d’une forme d’exaspération des signataires face à l’immobilisme des dirigeants européens dans le contexte de la guerre en Ukraine engagée depuis février 2022, mais aussi de leur aveuglement vis-à-vis du désengagement américain, engagé de longue date mais qui vient de prendre une forme nouvelle, bien plus agressive et hostile, depuis la réélection de Donald Trump. Il y a beaucoup d’effets d’annonces, mais finalement encore peu d’actes pour engager une politique de défense sérieuse, authentiquement européenne, et affranchie des États-Unis. Certains Européens ont longtemps été dans le déni et la facilité. Ils n’ont pas encore complètement abandonné cet état d’esprit. Or, la situation nécessite un véritable sursaut, un réarmement qui soit également intellectuel et moral. Nous avons plus que jamais besoin d’une Europe puissance qui défende les intérêts et la souveraineté de ses membres dans un contexte marqué par le retour du rapport de force brutal dans les relations internationales, sous l’effet de l’exercice des responsabilités par personnalités comme Poutine, Trump, Xi, Erdogan, Modi…

Cercle Raymond Badiou – Ne s’agit-il pas là d’une position “va-t-en guerre” ?

Matthieu Boisdron – L’argent que nous allons devoir mettre dans notre réarmement serait certainement mieux employé ailleurs (à l’université, à l’hôpital…). Seulement, nous avons à nos portes un voisin agressif et imprévisible. Personne n’imaginait en février 2022 que la Russie engagerait une offensive militaire visant la conquête de l’Ukraine. Que la Russie sorte victorieuse ou défaite de cette guerre ne changera pas fondamentalement la donne : elle restera demain une menace qui pèsera à coup sûr sur la Moldavie et les pays baltes, et potentiellement sur la Pologne et la Roumanie… Le projet de Poutine – et il l’a annoncé sans détour à Munich en 2007 – est bien de rétablir la puissance et l’influence russes dans son “étranger proche”. L’effort de réarmement qu’il nous faut consentir doit justement être entrepris pour justement éviter d’avoir, un jour, à nous en servir, à nous battre. C’est la seule dissuasion possible et efficace face à la Russie. C’est donc tout le contraire d’une posture va-t-en-guerre.

Cercle Raymond Badiou – Vous avez consacré une part de votre thèse de doctorat aux relations internationales dans l’entre-deux-guerres. Que peut nous apporter l’histoire dans ce contexte ?

Matthieu Boisdron – L’histoire ne se répète jamais. Les contextes sont toujours différents et donc les facteurs explicatifs aussi. Néanmoins, on constate aujourd’hui que le système international élaboré en 1945, sensiblement modifié en 1991, est profondément et potentiellement aussi durablement ébranlé. Nous subissons, à une trentaine d’années d’intervalle, le délitement de l’ordre post guerre froide en Europe. C’est sans doute la raison pour laquelle divers observateurs ou commentateurs ont convoqué le spectre des années 1930 et l’ont rapproché un peu abusivement du moment présent. Cela étant dit, l’incapacité des principales démocraties européennes, en 1936 lors de la remilitarisation de la Rhénanie, et en 1938 lors de la signature des accords de Munich, à s’opposer aux puissances autoritaires, constitue une leçon. En matière de relations internationales, le court-termisme et la pusillanimité qui conduisent à accepter les pires entorses au droit international se paient souvent très cher.

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