Créer du commun

Le Cercle Raymond-Badiou a traité de la manière dont la culture transforme la ville lors d’une réunion organisée à l’occasion du nouvel opéra urbain de la compagnie La Machine, Le Gardien du Temple. Plusieurs intervenants ont partagé leurs expériences sur le rôle de la culture dans le développement urbain.

Karine Daniel souligne la nécessité d’un soutien permanent aux structures culturelles au-delà de la seule organisation d’événements. Elle met en avant des exemples de transformation urbaine par l’art, comme le Guggenheim de Bilbao et les machines de l’Île de Nantes. Elle défend l’idée d’un nouveau modèle pour un financement plus durable des interventions artistiques.

Claude Raynal décrit comment il a utilisé la culture pour revitaliser une commune de banlieue et attirer des artistes qui quittaient la ville-centre. Il met en garde contre les coupes budgétaires qui menacent ce secteur.

Éric Vanelle aborde la difficulté de maintenir des structures culturelles comme le théâtre du Grand-Rond, en soulignant le rôle crucial des aides publiques pour la production et la diffusion artistiques.

Jean-Baptiste Steil explique l’intérêt de définir une stratégie visant à construire une culture commune. Il donne des exemples de créations artistiques dans des moments de crise ou de transformation sociale.

En somme, la culture, à travers des initiatives artistiques variées, façonne l’identité urbaine, renforce la cohésion sociale et peut transformer en profondeur l’image et la structure des villes.


Vendredi 25 octobre 2024, à l’occasion du nouvel opéra urbain de la compagnie La Machine, Le Gardien du Temple, le Cercle Raymond-Badiou se réunissait pour évoquer les façons dont la culture peut transformer la ville.

Après avoir remercié pour leur accueil, Jean-François Laffont, président de l’Ostal d’Occitània – Maison de l’Occitanie, et Florence Ginisty, présidente de l’association Nos conversations, ainsi que Rémy Pech, président de l’association des Amis de Jean Jaurès à Toulouse, Hugues Bernard, président du Cercle Raymond-Badiou, rappelle les objectifs fondateurs de ce rassemblement : alimenter la réflexion de la gauche, encourager la démocratie locale et changer la ville en s’inspirant de la figure du maire socialiste de la Libération. La parole est donnée à trois personnalités : Éric Vanelle, membre du théâtre du Grand-Rond, qui accueillit la première réunion du Cercle Raymond-Badiou ; Claude Raynal, sénateur et président de la commission des finances du Sénat, élu à Tournefeuille qui a su maintenir la présence dans la métropole de compagnies artistiques qui avaient pris pour habitude de quitter Toulouse et convaincre un concurrent politique de poursuivre le projet de La Machine à Toulouse ; Karine Daniel, élue nationale engagée, économiste qui fait le lien entre culture, créativité et identité.

Karine Daniel rappelle, après le propos introductif de Jean-François Laffont, président de l’Ostal d’Occitània, que la culture est diverse et qu’elle inclut notamment la question de la langue. Sénatrice, elle veille à l’application de la loi du 21 mai 2021, de son collègue Paul Paul Molac, relative à la protection patrimoniale des langues régionales. S’appuyant sur l’expérience de La Machine dont elle est administratrice, Karine Daniel défend l’objectif d’offrir aux compagnies de spectacles de rue un cadre pérenne, consciente de la difficulté de faire vivre de telles structures toute l’année en dehors des temps des parades ou des spectacles. Au Sénat, elle est membre de la commission de la culture et rapporteure pour avis des crédits des programmes création et transmission des savoirs et démocratisation de la culture. Aussi insiste-t-elle sur l’importance de soutenir les artistes, un enjeu d’autant plus essentiel que se pose la question de l’annulation de certains spectacles et de la censure sous-jacente.

Elle évoque l’image de certaines villes attachée à une figure d’artiste, qu’elle soit « officielle » ou transgressive : Barcelone et Antoni Gaudí, New York et Jean-Michel Basquiat ou encore Amsterdam et Bansky… Certaines villes ont investi fortement dans l’art pour leur développement : la Walker Art Gallery à Liverpool ou le Guggenheim à Bilbao dessiné par Frank Gehry. À Nantes, Karine Daniel rappelle qu’elle est associée à la revitalisation d’une friche urbaine à travers notamment le projet de l’Arbre aux Hérons imaginé et porté par François Delaroziere et Pierre Orefice, coauteurs des machines de l’Île de Nantes. Toutefois, aujourd’hui, il est plus difficile de profiter des opportunités offertes par des transitions urbaines du fait des tensions qui pèsent sur le foncier, nées des nouvelles politiques de densification urbaine et de transition écologique. Mais une ville accueillante est une ville où les habitants peuvent partager des moments et des espaces communs. Si les grands événements, comme celui de l’opéra urbain proposé ces jours-ci, accueillent des spectateurs étrangers, ils s’adressent d’abord aux habitants d’une agglomération, à un très large public par leur gratuité et leur investissement de l’espace public. Au-delà de la seule performance, les artistes montrent leur savoir-faire. Les ateliers de fabrication de La Machine par exemple représentent un enjeu pour la formation à des métiers très techniques et des relations avec leur environnement industriel. L’exemple du cheval mécanique qui surfait sur la Seine lors de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de Paris 2024 témoigne de cette excellence technique. Il a été conçu dans l’atelier Blam, créé et dirigé par Aurélien Meyer, un ancien de La Machine.

Le 1 % artistique, commande ou achat d’œuvre par le commanditaire d’un bâtiment public, représente un soutien indéniable pour le secteur en difficulté des arts plastiques. La difficulté se concentre parfois sur l’entretien de ce patrimoine artistique. A propos des festivals, elle souligne le problème structurel de leur financement. Les scènes conventionnées représentent également une part importante du financement de la création et de la diffusion du spectacle vivant. Celles-ci favorisent tout un écosystème à ne pas négliger. Mais créer une œuvre, dont on ne connaît pas à l’avance le succès, a un coût. Aussi l’aide à la création doit-elle échapper au seul calcul de rentabilité. L’enjeu du soutien à la culture et à la vie associative n’est-il pas un enjeu politique au sens large, celui de créer du commun et des espaces d’un dialogue apaisé ?

Claude Raynal revient sur les nombreuses initiatives qu’il a prises en s’appuyant sur la culture pour faire vivre une ville de banlieue prospère, une ville à la campagne, qui n’avait aucun plan de développement. Fort de l’engagement à ses côtés d’une collègue élue, Dany Buys, et du professionnalisme d’un directeur des affaires culturelles, François Lajuzan, et de ses services, il décide de bâtir la ville autour d’une vie culturelle intense, à une époque où Toulouse était elle-même peu réceptive à l’innovation culturelle. Des acteurs culturels ont été profondément déçus à l’exemple de la compagnie Royal de Luxe, fondée à Toulouse par Jean-Luc Courcoult, qui est allée trouver refuge à Nantes. Tournefeuille ou Ramonville ont alors accueilli les artistes qui partaient de la ville-centre. Les départs vers Tournefeuille ont été nombreux : Marionnettissimo, Cuba Hoy, l’orchestre de chambre de Toulouse, L’Usine ou encore Le Grenier de Toulouse. La situation a pu être parfois compliquée, Tournefeuille ayant des moyens financiers largement inférieurs à ceux de Toulouse. Cette fragilité a pu être à l’origine d’incompréhensions avec le monde culturel notamment lors de renouvellements ou de changements des équipes. Convaincu que la culture est une richesse, Claude Raynal n’a jamais regretté ses choix et parle avec émotion de l’ambiance festive et du sens de l’ouverture aux autres que le spectacle de rue provoque, quand, par exemple, tout un quartier se retrouve dans la rue. Il attire l’attention sur la question du renouvellement des spectacles pour éviter qu’ils ne s’institutionnalisent. La culture, pour lui, c’est le mouvement. Dernier sujet, la tension budgétaire. Des coupes peuvent être décidées rapidement notamment dans le domaine culturel. Aussi faut-il veiller à ce que les arbitrages préservent des équilibres. Et ce qui apparait trop vite comme non essentiel peut représenter en fait un sacrifice trop significatif. Il y a des choses moins utiles que la culture.

Eric Vanelle rappelle que le secteur de la culture accueille beaucoup de monde, à l’exemple du théâtre du Grand-Rond malgré de faibles moyens. Cette petite structure de 120 places participe, toutefois, aux côtés de structures plus structurantes, les scènes conventionnées, à un même écosystème. Il alerte sur la baisse des aides publiques qui met en péril sa propre saison 2025-2026 et n’épargne aucun professionnel. Il salue le dispositif des arts de la scène mis en place par la Région Occitanie et accessible à bien des petites structures qui maillent le territoire régional et font preuve de créativité. Il interroge alors le modèle hérité de Malraux de rendre accessible les grandes œuvres. Face à l’évidence que la culture nécessite un investissement durable et au-delà des manifestations événementielles, il recommande de consolider, dans leur diversité, les actuelles scènes.

Le lendemain, samedi 26 octobre, le Cercle Raymond Badiou donnait la parole à Jean-Baptiste Steil qui proposait une mise à distance du sujet des arts de la rue.

Jean-Baptiste Steil, directeur du Centre culturel Les arts de lire à Lagrasse, interroge la justification des dépenses culturelles sous l’angle de l’économie et de la question du vivre ensemble. Il pense en préambule que la culture est un concept mal défini. Pour lui, la création artistique comprend à la fois les langues, la gastronomie, les jeux vidéo et toutes les nouvelles formes d’art. Les artistes sont des artisans exigeants qui ne sont pas dépositaires de la culture. C’est un chantier collectif qui a la capacité de transformer la ville et à étendre le champ des possibles. La création artistique urbaine contribue, parfois, à tisser des liens. Elle s’inscrit dans un contexte nouveau et doit s’accommoder aujourd’hui de conditions sécuritaires drastiques suite aux attentats terroristes et à la crise sanitaire. L’art dans l’espace public se réalise en dehors des lieux habituellement dédiés à l’art comme les théâtres, les galeries ou les salles de spectacles. La notion de vivre ensemble ne raconte pas grand-chose.

Jean-Baptiste Steil propose quatre contributions. Tout d’abord, l’art dans l’espace public peut, selon lui, être le fondement d’une culture commune comme lors de rites de passage. Il cite notamment le transfert au Panthéon des cendres des résistants Missak et Mélinée Manouchian où l’intervention artistique transforme l’événement. Il évoque aussi des rituels de réparation où l’intervention d’artistes permet de réinterpréter des événements dramatiques comme le tsunami de 2004 au Sri Lanka qui causa la mort de plus de 30 000 personnes. Il suggère ensuite que l’art dans l’espace public mette en récit des transformations de la ville, avec une part d’utopie. Ainsi, lors de l’inauguration de nouveaux équipements publics, tel le métro, ou d’un nouveau quartier, des artistes peuvent mettre en scène des zones de résistance. L’assouplissement du régime des contraintes est ainsi porté par la compagnie Générik Vapeur à Marseille. Les interventions dans l’espace public peuvent susciter le débat ou des controverses comme le spectacle Le Gardien du Temple qui représenterait un blasphème selon la droite catholique toulousaine. La commande publique n’oblige pas à être consensuel. Il existe un combat culturel contre l’extrême droite. Enfin, Jean-Baptiste Steil conclut sur la nature de l’apport de l’art. Les artistes peuvent inventer un récit, susciter la participation, imaginer une utopie, offrir des moments d’émancipation dans une société démocratique mais ils ne peuvent pas réparer une société malade.

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