
Tribune du Socialisme n°7 – 15 juillet 1958
Les événements récents, en bousculant les organisations politiques sclérosées, ont montré tout d’un coup la carence des partis républicains, et spécialement de la S.F.I.O., carence qui a conduit la République à l'”évanouissement”. Car il serait dangereux de croire, ou d’essayer de faire croire que la République a été attaquée par de puissants ennemis devant lesquels elle aurait succombé : la République glissait, depuis des années, vers son destin de mai 1958. Et ce destin était tout spécialement lié à celui de la S.F.I.O. Or, celle-ci, au lieu de rester attachée au peuple en exprimant toujours ses aspirations, au lieu de cultiver les principes fondamentaux du socialisme et de baser sur eux son action permanente, était devenue un vulgaire “parti de Gouvernement”, c’est-à-dire une des figures de ce jeu d’échecs auquel se réduisait la vie parlementaire.
Ainsi, peu à peu, le peuple s’est détaché, non seulement de la S.F.I.O., mais du parlementarisme lui-même, cependant que les grands corps de l’État, et d’abord l’armée, accédaient à une autonomie de fait à peu près totale, sans provoquer la moindre réaction des républicains au pouvoir.
Si Massu règne à Alger, c’est parce qu’un Ministre de la République lui a confié tous les pouvoirs de police, au lieu de le maintenir dans son rôle de soldat.
Si l’armée est dominée par le corps des parachutistes, c’est que des Ministres de la République ont admis la création, le développement et l’autonomie de ce corps de prétoriens.
Si le fascisme est né en Algérie, pour tenter ensuite la conquête de France, c’est que la politique algérienne poursuivie par des Gouvernements républicains à participation ou à direction socialiste s’est inspirée de conceptions colonialistes, ou, à tout le moins, paternalistes, approuvées sans doute par « la droite la plus bête du monde », mais absolument contraires aux principes socialistes.
Ainsi, beaucoup plus que pour les événements de mai 1958, il faut demander des comptes pour une politique longuement poursuivie par ceux qui, depuis des années, ont parlé et agi au nom de la S.F.I.O.
Mais il faut surtout définir à nouveau le Parti, et faire en sorte que, pour tout le monde, un sens précis soit attaché à ces mots : « être socialiste ».
ÊTRE SOCIALISTE, c’est d’abord croire à la dignité de l’homme. C’est donc refuser tout moyen avilissant, même dans la « guerre révolutionnaire ». La torture ne peut, en aucune façon, se justifier aux yeux d’un socialiste. Si « la fin justifiait les moyens », alors tous les crimes de l’Histoire, y compris celui d’Oradour, trouveraient une justification.
ÊTRE SOCIALISTE, c’est condamner le racisme, même dans ses manifestations les plus discrètes, et affirmer qu’aucun peuple ne doit être maintenu dans la soumission à un autre peuple. C’est pourquoi un socialiste ne doit pas admettre la politique algérienne pratiquée depuis la conquête, et qui tente de se survivre à travers les « lois-cadres », et les mythes hypocrites de l’« intégration ». Une France socialiste devrait rechercher la collaboration économique et culturelle, mais non la domination politique, des peuples de l’ancien « Empire Colonial ».
ÊTRE SOCIALISTE, c’est refuser la structure capitaliste de la société bourgeoise. C’est donc travailler sans cesse à la transformer, dans tous ses organes :
C’est, par exemple, vouloir perfectionner la Sécurité Sociale, par la suppression de la médecine « libérale », la généralisation du « plein temps », et la nationalisation de l’industrie pharmaceutique.
C’est, en matière de logement, vouloir réserver aux Offices Publics la totalité des crédits de l’État, et instaurer une politique rigoureuse de taxation du prix des terrains.
C’est, pour l’Éducation Nationale, vouloir une réforme basée sur une égalité totale des chances, à la base, et une sélection progressive tendant à dégager, au sommet, l’élite véritable.
C’est, sur le plan économique, être franchement dirigiste, et affirmer que l’œuvre de nationalisation entreprise à la Libération doit être perfectionnée et étendue à tous les secteurs vitaux.
C’est vouloir, pour la Recherche Scientifique, la place éminente qu’elle doit avoir dans une nation moderne.
C’est, sur le plan de la culture, s’indigner de la faible part qui lui est réservée, et vouloir, par un effort national, la répandre dans le peuple, en luttant contre la stupidité et l’avilissement de la « presse du cœur », des hebdomadaires à grand tirage et du cinéma « commercial ».
C’est, sur le plan des institutions, ne pas se contenter de la démocratie parlementaire traditionnelle, et rechercher les instruments efficaces d’une véritable démocratie socialiste.
ÊTRE SOCIALISTE, c’est, enfin, sur le plan international, vouloir la Paix. C’est refuser, pour la France, cette fausse « grandeur » qui consisterait à fabriquer « sa » bombe atomique. C’est travailler à l’entente entre les peuples, en commençant par ses voisins. C’est faire, obstinément, la distinction entre le patriotisme, expression de la dignité d’une communauté nationale, et le chauvinisme, manifestation de suffisance et de sottise d’un peuple peu évolué.
Dans la grande confusion actuelle, nous proposons aux camarades déçus ou révoltés, aux jeunes gens qui n’ont pas encore choisi leur option politique, à tous ceux, enfin, qui croient à la liberté et à la justice, de se grouper autour de cette formule, pleine de richesses.